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Rio + 20 : faillite des diplomaties, faiblesse des démocraties

Date de création

Mercredi, juillet 18, 2012 - 15:39


On sort de Rio de Janeiro avec un mal à la planète carabiné. Mobiliser des dizaines de milliers de personnes et près de cent chefs d'État pour adopter un texte de 50 pages, à prendre ou à laisser, qui annonce des engagements déjà pris depuis longtemps et non tenus, en veillant à ce que tous les mots-clé d'une liturgie désormais vidée de son sens soient bien présents, le rôle des femmes, les droits, la place de la société civile, l'importance de la démocratie et la participation populaire, sans parler des peuples indigènes dont quelques groupes circulent emplumés. A tous les sens du terme, la messe est dite.

Mais, attention ! Pas question d'assumer nos interdépendances ! pas de droit de regard d'un État sur l'autre ! Charbonnier est maître chez lui ! il ne s'agit que d'engagements volontaires qui n'engagent que ceux qui y croient. La participation de la société civile ? Même le «stakeholder forum », censé représenter les différents acteurs, pourtant phagocyté par la bureaucratie Onusienne, a dénoncé publiquement la mascarade, après des mois à s'ingénier sans succès à insérer des propositions dans un agenda conçu dès le départ pour n'en laisser passer aucune de substantielle.

L'Union européenne, face à l'autoritarisme du Ministère des affaires étrangères du Brésil, a rendu les armes après quelques coups de fusils tirés en l'air pour l'honneur. Rendu les armes, oui, mais attention, en restant unie ! en étant autorisée à garder son drapeau ! Et notre président a ajouté sa voix à ce touchant consensus, obtenu par acclamation sur un texte qui n'engageait personne à rien, en y ajoutant quelques paroles bien senties et sans portée concrète sur l'absence d'ambition des conclusions de la conférence. Consensus. Tout est là.

Il ne manque pas d'experts de la négociation internationale pour citer deux ou trois phrases montrant les avancées prodigieuses accomplies en vingt ans : quelques mots supplémentaires sur la gouvernance intégrée des océans, un forum des acteurs se transformant en forum de haut niveau, quelques promesses vagues sur le renforcement du programme des Nations Unies pour l'environnement, l'engagement à élaborer des objectifs de développement durable qui n'engageront personne en particulier. Le négociateur brésilien a même eu cette touchante confidence : on a tenu bon, on a reculé moins qu'on aurait pu le craindre ! Ce n'est plus l'engagement de la grande transition, c'est Verdun. Ils ne passeront pas, ceux qui veulent revenir sur les principes de 1992 ! Le propre d'un tel processus de négociation est de passer tant d'heures à ergoter sur la moindre phrase que ses acteurs en perdent de vue l'enjeu même de la bataille pour ne retenir que le succès ou l'échec de telle ou telle escarmouche.

Le plus significatif, c'est l'appel répété aux collectivités territoriales. Pour moi qui suis convaincu que c'est au niveau des territoires que peut se penser une société durable, c'est pain béni. Mais dans le contexte c'est plutôt un constat de faillite : les États, incapables de penser une mutation pourtant urgente et plus incapables encore de se mettre d'accord sur la manière de la conduire, rendent les clés de la cité planétaire en invitant les autres à venir en prendre soin. Cet aveu de carence est le nœud du problème. Rio+20 est le constat de faillite d'un ordre mondial inter-gouvernemental vieux de plus de deux cents ans – on fêtera bientôt le bicentenaire du traité de Vienne – géré par des diplomaties de carrière. Les mots disent bien ce qu'ils veulent dire : la Présidente du Brésil s'en est remis jusqu'au bout à son Ministre des affaires étrangères pour conduire la négociation. Pas à un Ministre des affaires mondiales ou un Ministre des affaires communes planétaires ; un Ministre des affaires étrangères. Nous face au reste du monde, dans une démarche de donnant donnant où la planète n'est pas l'enjeu mais le champ de bataille des volontés de puissance et d'affrontement des égoïsmes nationaux. D'ailleurs on n'entendait bruire dans les couloirs que réflexions sur les nouveaux rapports de force, sur la montée en puissance des pays émergents. Nous sommes partis pour quelques années de savantes exégèses sur ce nouveau monde multilatéral. Dans tous les pays ou presque ce sont ces mêmes ministères des affaires étrangères qui ont mené le bal, veillant à ce que ces gros naïfs de la société civile, qui croient qu'il s'agit de survie de la planète, ne se laissent pas avoir : il ne s'agit que du bon vieux rapport de force entre pays qui ne connaissent que le langage de la puissance et de l'intérêt national.

Mais les « intérêts nationaux » existent-ils par essence ou ne sont-ils construits qu'en raison de ces institutions que sont les États-nations ? Sont-ils éminents par rapport à tous les autres ? Évidemment pas. Il y a bien plus de solidarités entre banquiers ou chefs d'entreprise du monde entier, qui se donnent rendez vous à Davos pour échanger les nouvelles et resserrer leurs liens, plus de solidarités entre les paysans du monde entier, plus d'analogies entre les collectivités territoriales qu'il n'y en a entre acteurs du même pays. La manière même d'organiser le dialogue international en prédétermine le résultat. Et quand s'ajoute à cela l'incroyable illusion qu'on adoptera un texte par consensus, faute de pouvoir prendre au sérieux un vote aux Nations Unies tant la règle « un pays, une voix » est surréaliste du fait de l'hétérogénéité des États membres, quand cette obsession du consensus donne à tout pays un peu important un droit de veto, on comprend que les jeux étaient faits d'avance. Il n'existe, au niveau mondial, aucun organisme chargé de « dire l'intérêt général » comme la Commission européenne pour l'Europe. L'agenda de Rio+20 – l'économie verte au service de l'éradication de la grande pauvreté – a été d'entrée de jeu le résultat d'un compromis diplomatique, mélangeant artificiellement les intérêts des pays développés et en développement, préparant le rituel d'affrontement entre les uns et les autres. Le projet de déclaration n'a été que le fruit d'une synthèse des propositions nationales. Et la négociation finale a, pour les diplomates, visé à éliminer tout ce qui pourrait mettre en cause ou engager leur pays. On récolte évidemment ce que l'on a semé. Un rappel page après page de la souveraineté nationale et un catalogue de bons sentiments soumis dans la pratique à des engagements volontaires. Nul besoin d'être un spécialiste de la théorie des jeux pour comprendre que la construction d'un autre mode de négociation, par exemple avec une assemblée mondiale de citoyens, représentative des différentes forces sociales, chargée d'élaborer des propositions soumises à la délibération des États, aboutirait à un résultat très différent. La crise de l'euro a montré le risque d'une monnaie commune qui ne serait pas assortie d'une autorité politique de coordination des politiques économiques et fiscales. Que dire alors d'une planète à gérer en commun qui ne dispose en guise de régulation que du libre marché ? La contradiction entre le niveau de nos interdépendances et leur mode de gestion par le marché est devenue explosive. Depuis le premier sommet de la terre, en 1992, les équilibres dont dépend notre survie n'ont cessé de se dégrader. Notre gouvernance mondiale est devenue pour l'humanité le plus grave de tous les risques. Il y a bien eu à Rio, orchestré par la diplomatie brésilienne, un Munich écologique mondial : les chefs d'État sont rentrés chez eux, en apparence satisfaits qu'un consensus ait été trouvé pour sauvegarder une unité de façade. Mais combien ont dû grommeler, en se voyant féliciter de ce beau résultat, comme Daladier rentrant de Munich après l'accord passé avec Hitler, « les imbéciles ». Car c'est bien, avec l'illusion que l'on peut gérer la planète sans assumer nos interdépendances, les prochains conflits mondiaux qui se préparent.

Et maintenant ? Il faudra bien prendre des initiatives qui fâchent. Tant pis pour le consensus si la sauvegarde de la planète est à ce prix. Avançons avec ceux qui veulent avancer. Abandonnons l'idée qu'un commerce mondial libre et sans condition sociale et environnementale est la garantie de la paix, car c'est celle de Munich, celle qui prépare la guerre future. Cessons de considérer l’État « absolument souverain », celui du traité de Westphalie, comme un horizon indépassable. Commençons par admettre que tous les acteurs, publics et privés, ont à rendre compte à la communauté mondiale de l'impact de leurs actes dès lors que cet impact déborde des frontières nationales. Adoptons pour cela une Déclaration universelle des responsabilités humaines, complément indispensable de la Déclaration universelle des droits humains et fondons sur elle un droit international de la responsabilité. Mettons en place un commerce international fondé sur des filières de production et de consommation durable, et en chantier une réflexion internationale sur le nouveau modèle de l'économie, avec une monnaie qui ne confonde plus comme aujourd'hui, par l'usage d'une même unité de compte et un même moyen de paiement, ce qu'il faut économiser – l'énergie fossile et les ressources naturelles – et ce qu'il faut au contraire encourager – le travail humain. L'Union européenne, que l'on présente aujourd'hui comme l'homme malade de la mondialisation, est la seule à avoir inventé la manière de s'unir dans le respect de ses différences, à avoir appris à dépasser de façon pacifique ses égoïsmes nationaux. C'est à elle de prendre la parole, à elle de refuser, réflexion faite, le Munich écologique mondial. Et la France s'honorera à y jouer un rôle moteur.

Pierre Calame
_ Forum international Ethique et responsabilités
_ Auteur de « sauvons la planète ! »
_ Editions Charles Leopold Mayer (ECLM) mai 2012
_ Président de la FPH