Par Pierre Calame
Extraits du livre de Pierre Calame « Essai sur l’oeconomie ». Ils ont tous en commun de relier oeconomie et gouvernance mondiale. Le présent texte qui précède ces extraits donne une vision d’ensemble
L’essai sur l’oeconomie tente une vaste fresque des transformations à entreprendre au 21ème siècle dans le système de production et d’échange.
Il ne traite pas spécifiquement de gouvernance mondiale. Néanmoins cette question émerge à plusieurs reprises. Les extraits ci-joints sont ceux qui traitent de la gouvernance mondiale. Ils abordent plus précisément trois thèmes :
1. A acteur international, législation internationale
_ 2. La nécessité d’une négociation internationale sur les régimes de gouvernance
_ 3. Fonder le commerce international sur des filières durables
Dans la deuxième partie de « l’essai sur l’oeconomie », consacrée aux propositions, la question de la gouvernance mondiale du système de production et d’échange est abordée dans quatre chapitres différents.
Le chapitre III s’intitule « la légitimité de l’oeconomie ». J’y analyse le système de production actuel et ses acteurs en m’interrogeant sur leur légitimité à la lumière des cinq critères de légitimité de gouvernance énoncés dans « la Démocratie en miettes ».
Le chapitre IV s’intitule « oeconomie, démocratie et citoyenneté ». j’y analyse les conditions auxquelles le système de production et d’échange pourrait rentrer dans le champ de la démocratie alors que l’économie de marché, traitée comme une sorte de science à part, semble échapper aux choix démocratiques.
Le chapitre V s’intitule : « le territoire, acteur pivot du 21e siècle ». Il n’aborde que de façon latérale la question de la gouvernance mondiale sous l’angle de l’articulation des régimes de gouvernance aux différentes échelles, du local au mondial.
Le chapitre VI, enfin, s’intitule : « les agencements institutionnels de l’oeconomie ». Il montre notamment comment le commerce international pourrait se réorganiser.
Les extraits ci-joints reprennent ces différents thèmes. Quelles sont les grandes lignes qui se dégagent de ces différents extraits ?
1. A acteur international, législation internationale
Une première idée traverse l’ouvrage : « à acteur international, législation internationale » (Annexe 1, ch. III §5). Pour être légitime, des dirigeants économiques doivent être redevables devant des instances qui sont à l’échelle de leur influence. Ce n’est pas le cas actuellement : les entreprises, même les plus grandes, relèvent de droits nationaux voire infra-nationaux. A titre d’exemple, les actions collectives (« class actions », pour reprendre le vocable américain) se mènent devant des tribunaux nationaux ou infra-nationaux alors que l’impact des très grandes entreprises, impact direct et impact indirect par le biais de filières et de ses sous-traitants, est clairement mondial.
Il ne peut y avoir de concurrence internationale loyale (là aussi, pour reprendre l’expression américaine, de « level playing field ») que si les entreprises, quelle que soit leur nationalité et quelle que soit la manière de décomposer le processus de production entre l’entreprise pivot et des acteurs qui lui sont subordonnés, à l’amont ou à l’aval, sont soumises à un même droit international.
Il faut, ne serait-ce que cela, disposer d’un bilan social et environnemental consolidé, là où les droits nationaux qui régissent ces bilans sont aujourd’hui disparates. En réponse à la mondialisation du commerce, on n’échappe pas à une internationalisation du droit des marchés.
L’instance la plus en mesure de créer un espace de négociation sur ce thème est, selon moi, l’Organisation Mondiale du Commerce. Mais, par nature, cette organisation inter étatique ne traite aujourd’hui que des différends entre les États. Il faudrait en faire aussi un espace de gestion des différends entre les différentes parties prenantes, entre les entreprises, entre les entreprises et les Etats, entre les entreprises et les consommateurs.
2. La nécessité d’une négociation internationale sur les régimes de gouvernance
Comment construire une société mondiale pacifique ? Je souligne (Annexe 2 et 3, Ch III §8) que l’économie actuelle a le double visage de Janus, un visage de paix, avec la construction d’un village global, et un visage de guerre, avec l’exacerbation des concurrences, notamment pour la maîtrise des matières premières et de l’énergie.
Pour construire cette communauté pacifique, il faut que le principe de responsabilité soit hissé au même niveau que les règles de concurrence.
Il faut aussi et surtout que l’on puisse se mettre d’accord au niveau international sur les régimes de gouvernance applicables aux différentes catégories de biens et services (Annexe 2 et 3, Ch III §8). Pour cela, on n’échappe pas à une négociation internationale. Il serait utile de s’appuyer pour cela sur l’Organisation Mondiale du Commerce, précisément parce qu’elle traite de commerce et de différends commerciaux, ce qui la rend plus opérationnelle que d’autres instances, en apparence plus proches des questions environnementales mais en pratique sans moyen opérationnel d’action et de rétorsion à l’égard des Etats réticents.
Je passe pour cela en revue les différents régimes de gouvernance. Je souligne en particulier pour les biens de catégorie 2 (qui se divisent en se partageant mais sont en quantité finie) que ce serait l’occasion d’une évaluation rigoureuse de la dette écologique, comme on prend en compte l’évaluation des dettes d’une entreprise dans l’établissement de son bilan.
Pour les biens de catégorie 3, ce serait l’occasion d’affirmer le principe de traçabilité du processus de production et d’élaborer régulièrement, par exemple tous les sept ans, des préférences collectives mondiales qui donneraient un cadre prévisible pour les investissements des entreprises.
Enfin, pour les biens de catégorie 4, il faudrait créer un système international d’échange d’informations. Ce serait une nouvelle forme de bien public.
Cette question est reprise plus loin dans le livre (Annexe 4, Ch IV §4), à propos de la démocratie. Je me demande comment pouvoir débattre mondialement des choix à faire en matière de système de production et d’échange et je reprends les différentes propositions qui traversent tout l’ouvrage : l’approche par les filières ; la nécessité de la traçabilité des processus de production ; l’évaluation de l’évolution des différents capitaux (matériels, immatériels, humains et naturels) et la discussion des régimes de gouvernance.
Cette discussion est reprise et détaillée à propos de l’oeconomie territoriale (Annexe 5, Ch V §5) : les régimes de gouvernance ont tous en commun de relier les différents niveaux de régulation du local au mondial : tous relèvent du principe de subsidiarité active.
J’ai, à titre d’illustration, joint trois desmogrammes relatifs à la haute atmosphère, l’eau et la biodiversité, montrant comment on peut déduire un régime de gouvernance adapté à la nature et aux caractéristiques de chaque bien. (Annexe 6, pages 549, 551, 553 du livre).
3. Fonder le commerce international sur des filières durables
J’approfondis (Annexe 7, Ch VI §3) l’idée que les filières durables peuvent être, avec les territoires, les acteurs pivot de l’oeconomie du 21e siècle. Pour cela, il faut reconnaître que l’équilibre entre l’humanité et la biosphère est une norme impérative du droit international, ce qu’on appelle un jus cogens.
Dans quel cadre peuvent se définir et se conclure des accords globaux de filières durables ? Là aussi je pense qu’un partenariat avec l’Organisation Mondiale du Commerce, adossée à l’Organisation Internationale de Normalisation (ISO) serait le plus opérationnel.
Enfin, de longs développements sont consacrés à un nouvel ordre monétaire, financier et énergétique mondial dans le chapitre VII, « monnaies et finance ». Les propositions sont traitées dans un document à part (Annexe 8).